Non, le Gabon n’est pas le pays le plus corrompu d’Afrique centrale
Depuis quelques jours, des articles de presse et des messages partagés à profusion sur les réseaux sociaux soutiennent que le Gabon aurait été désigné « pays le plus corrompu de la CEMAC » par l’ONG Transparency International à travers l’édition 2021 de son indice de perception de la corruption (IPC). Cependant, ces analyses largement relayées et les conclusions tirées par leurs auteurs sur le positionnement du Gabon au sein de la CEMAC sont erronées. En effet, si ces médias utilisent bien les bonnes données de Transparency international, ils font une mauvaise lecture de son classement.
Avant toute chose, il convient de définir l’IPC. L’indice de perception de la corruption (IPC) est un indicateur conçu en 1995 par l’ONG Transparency International qui mesure chaque année, non pas le niveau de corruption[1], mais la perception de la corruption dans 180 pays à partir d’une méthodologie d’enquête, de grilles d’évaluation et des interviews réalisées auprès de personnes cibles préalablement identifiées dans chaque pays.[2] Il s’agit d’un indice de base 100. A l’issue des enquêtes, une note, aussi appelée indice ou distance de la frontière (DDF) comprise entre 0 et 100 est attribuée à chaque pays. Lorsque tous les pays se sont vus attribuer une note, Transparency International procède alors à un classement. C’est ce classement qu’on désigne comme étant l’indice de perception de la corruption (IPC). Plus la note d’un pays est proche de 100, plus le niveau de corruption perçu est considéré comme faible. A l’inverse, plus la note d’un pays est proche de 0, plus le niveau de corruption est perçu comme élevé.
Ainsi, dans la dernière édition de l’IPC, les 5 pays désignés par Transparency International comme ceux où le niveau de corruption perçu est le plus faible sont :
- le Danemark (indice de 88) ;
- la Finlande (indice de 88) ;
- la Nouvelle-Zélande (indice de 85) ;
- la Norvège (indice de 85) ;
- la Suède (indice de 85).
Les scores de ces pays sont logés dans le 9e décile en partant de 0, ce qui les rapproche du niveau « Very clean ».
A l’inverse, les pays où le niveau de corruption perçu en 2021 serait le plus élevé sur la planète selon Transparency International sont dans l’ordre :
- le Sud-Soudan (indice de 11) ;
- la Syrie (indice de 13) ;
- la Somalie (indice de 13) ;
- le Venezuela (indice de 14) ;
- le Yémen (indice de 16).
Les scores de ces pays sont logés dans le 2e décile en partant de 0, ce qui montre qu’ils sont proches du niveau « Hautement corrompu ».
Concernant le Gabon, la perception de la corruption mesurée par Transparency International en 2021 s’est traduite par un indice de 31. Si cette note le positionne dans le 4e décile en partant de 0, c’est-à-dire parmi les pays où le niveau de corruption est considéré comme élevé, elle ne fait pas de lui pour autant le pays le plus corrompu de la CEMAC comme l’ont affirmé certains. Bien au contraire.
En effet, l’indice du Gabon étant celui qui est le plus proche de 100 parmi les 6 pays de la CEMAC, cela le positionne comme le pays où le niveau de corruption perçu en 2021 est le plus faible au sein de cette zone. Ainsi, au sein de la CEMAC le classement des pays est le suivant (du moins corrompu au plus corrompu au sens de l’IPC de Transparency International) :
- Gabon (indice de 31) ;
- Cameroun (indice de 27) ;
- Centrafrique (indice de 24) ;
- Congo (indice de 21) ;
- Tchad (indice de 20)
- Guinée équatoriale (indice de 17).
A noter qu’au-delà de la CEMAC qui ne compte que 6 pays, tous les pays de la CEEAC qui en compte 10 sont particulièrement mal classés à l’indice de perception de la corruption à l’exception notoire du Rwanda dont l’indice est de 53. Tous les autres pays de la CEEAC ont un niveau de corruption perçu en 2021 supérieur à celui du Gabon :
- Angola (indice de 29) ;
- Burundi (indice de 19) ;
- République démocratique du Congo (indice de 19).
Telle est la réalité et le devoir de vérité nous oblige.
Au-delà du rappel des règles d’interprétation de l’indice de perception de la corruption de Transparency International, il convient de tirer les leçons du positionnement global du Gabon qui n’est guère réjouissant et prendre toutes les mesures qui s’imposent pour y éradiquer la corruption aussi bien dans la vie politique, dans l’administration que dans le monde des affaires. Les Seychelles, situés en Afrique comme le Gabon, ont presque réussi ce défi. En effet, avec un indice de 70, les Seychelles sont le pays africain le mieux classé à l’IPC. Le niveau de corruption perçu aux Seychelles est plus faible que celui perçu aux Etats-Unis d’Amérique, en Corée du Sud, au Portugal, en Espagne ou en Israël. Si les Seycelles sont parvenus à atteindre ce résultat face à la corruption, pourquoi nous-autres, Gabonais, n’en serions pas capables ?
Mays MOUISSI
[1] Il n’existe pas à ce jour de modèle universel permettant de mesurer avec précision le niveau de corruption dans un pays.
[2] Les 4 principes étapes de la méthodologie de réalisation de l’IPC sont les suivantes :
- la sélection des données ;
- la standardisation des sources de données ;
- le calcul de la moyenne ;
- la détermination de l’incertitude.