Cemac : Western Union, MoneyGram, virements internationaux … pourquoi ça bloque ?
Interview conduite et publiée initialement sur le site de Gabon Média Time.
Depuis bientôt trois mois, les usagers sont dans l’incapacité d’effectuer, à partir du Gabon, un transfert d’argent vers l’étranger via Western Union ou MoneyGram. Dans un entretien accordé à Gabon Media Time, l’analyste économique Mays Mouissi revient sur ce couac qui pénalise de manière significative l’ensemble des usagers qui sont trimballés sans explication apparente.
Gabon Média Time : Depuis plusieurs semaines les usagers de Western Union, MoneyGram, Ria et autres sont confrontés à des difficultés de transfert d’argent. Qu’est-ce qui justifie cette situation ?
Mays Mouissi : Les difficultés de transfert ou de réception de fonds via Western Union ou MoneyGram sont la partie émergée d’un problème bien plus large qui affecte également les flux internationaux de l’ensemble des établissements bancaires. Il s’agit de la raréfaction des devises, c’est-à-dire du stock de monnaies étrangères, dans le système bancaire et financier sous-régional.
Il est utile de rappeler que les transactions internationales dont l’émission ou la réception est faite dans une devise étrangère ne peuvent être réalisées que si l’intermédiaire financier qui vous accompagne dans cette opération possède des devises. Pour avoir les devises qui sont indispensables à leur activité, Western Union, MoneyGram et Ria sollicitent les banques commerciales. Celles-ci malgré leur bonne volonté, sont incapables de satisfaire totalement leurs clients à cause de la Commission bancaire d’Afrique centrale (COBAC) qui a fortement durci les conditions d’accès aux devises auprès de la Banque des États d’Afrique centrale (BEAC).
Pourquoi la Commission bancaire d’Afrique centrale (COBAC) a-t-elle durci les conditions d’accès aux devises ?
Si l’on s’en tient aux déclarations des responsables de la COBAC, le durcissement des conditions d’accès aux devises aurait pour objectif d’améliorer la position extérieure nette des pays membres de la Communauté économique et monétaire d’Afrique centrale (CEMAC). Pour y parvenir, la COBAC a mis un terme, un peu brutalement, à une pratique jusque-là tolérée qui consistait pour les banques commerciales à rétrocéder à la BEAC les devises issues des recettes d’exportations et à conserver pour leurs opérations courantes tous les autres types de devises.
En effet, en juin 2018, la COBAC a exigé le rapatriement et la rétrocession de l’ensemble des actifs en devises étrangères détenus par toutes les banques de la CEMAC à la BEAC, sans exception. Il en résulte que pour avoir des devises, les banques doivent désormais les demander à la BEAC. Or, nous constatons que la plupart des demandes de devises faites par les banques commerciales à la BEAC sont refusées, généralement sans motif.
La conséquence de tout cela est que de nombreuses entreprises ayant des contreparties à l’international sont bloquées dans leur activité, les étudiants gabonais à l’étranger à qui les parents n’ont pas pu effectuer le transfert MoneyGram habituel sont dans la détresse et les citoyens qui reçoivent une aide financière par Western Union d’un proche depuis l’étranger s’enfoncent dans la précarité. En voulant à tout prix améliorer de cette façon la position extérieure nette des pays de la CEMAC, le Président de la COBAC Abbas Mahamat Tolli a créé un problème économique dont les conséquences sont de plus en plus néfastes.
Pourquoi des quotas journaliers sont-ils mis en place et qui les fixe ?
Les quotas journaliers que vous observez chez Western Union, MoneyGram et même dans certains établissements bancaires obéissent à une contrainte de trésorerie évidente. Dans un contexte de raréfaction de devises, ces établissements ne peuvent servir leurs clients au-delà de ce qu’ils possèdent. Les responsables de ces structures ont certainement dû mettre en place ces restrictions pour assurer un service minimum.
Au lieu d’expliquer cela aux usagers, je constate avec regret que les responsables des agences de transferts préfèrent expliquer l’impossibilité de réaliser certaines opérations par des problèmes de connexion récurrents. Ce n’est pas crédible. Je pense que les Gabonais sont assez matures et intelligents pour comprendre ce qu’est une absence de devise.
Quels sont les risques encourus par les titulaires des comptes bancaires dans les établissements financiers des pays de la sous-région ?
La plupart des titulaires de comptes bancaires réalisent leurs opérations en monnaie locale, c’est-à-dire en franc CFA. Il n’y a donc pas de risque pour eux. Il n’est pas nécessaire d’aller retirer votre épargne de votre compte bancaire pour la thésauriser, elle ne disparaîtra pas.
Par contre, les opérateurs économiques qui doivent importer des marchandises, recevoir des paiements de leurs partenaires à l’étranger, etc. peuvent avoir des impacts importants dans leur activité. L’impact social peut également être désastreux pour ceux qui, comme les étudiants, vivent uniquement des transferts de fonds qu’ils reçoivent de leurs proches.
Merci pour vos éclairages.