J’aurais voulu que ce pays s’arrête un instant …
À l’occasion de la parution ce jour du 400e numéro de l’hebdomadaire La Loupe, qui m’a tant de fois ouvert ses colonnes afin d’y exprimer mes opinions, les responsables de ce médium m’ont fait l’honneur de me proposer de rédiger quelques lignes sur un sujet de mon choix pour ce numéro spécial.
J’ai donc choisi de vous parler du Gabon, ce pays dont nous avons hérité et qui constitue notre patrimoine commun.
Je voudrais consacrer ces lignes à ces Gabonais, nombreux, trop nombreux, dont les destins ont été contrariés par de mauvais choix politiques, par une mauvaise gouvernance économique et sociale, par des détournements massifs de fonds publics par des Hommes de pouvoir à toutes les époques de notre histoire depuis notre accession à l’indépendance en 1960.
J’aurais voulu que ce pays s’arrête un instant pour s’interroger sur le sort qu’il a réservé aux enfants de la République, promis à un bel avenir, mais morts prématurément dans des hôpitaux publics mal équipés ou dans les bourbiers de nos routes nationales parce que quelques Hommes de pouvoirs avides et insatiables ont détourné des budgets publics pour assurer leur enrichissement personnel.
J’aurais voulu que ce pays s’arrête un instant pour s’interroger sur le sort qu’il a réservé à ces enfants, brillants, dont le parcours scolaire a fini par être interrompu sous l’effet conjugué du sureffectif dans les établissements publics, de l’absence d’investissement dans l’éducation, de grèves à répétition, du non-paiement des allocations d’études, des affrontements violents avec les forces de sécurité ou de ce qu’on a convenu d’appeler les « moyennes sexuellement transmissibles ».
J’aurais voulu que ce pays s’arrête un instant pour s’interroger sur le sort qu’il a réservé à ces jeunes diplômés, formés au Gabon ou à travers le monde, revenus dans leur pays pleins de rêves, animés de la volonté de contribuer au développement de leur nation et qui se sont retrouvés au chômage, parfois une décennie entière, au point d’être contraints de s’adonner à certains vices pour survivre dans une société qui ne leur reconnait finalement aucun mérite.
J’aurais voulu que ce pays s’arrête un instant pour s’interroger sur le sort qu’il a réservé à ces travailleurs précaires du secteur public, qui chaque jour assurent une mission d’intérêt général, mais qui peuvent exercer plusieurs années sans être intégrés à la fonction publique, les plus chanceux recevant un pré-salaire qui souvent ne couvre pas leurs besoins élémentaires au sens de la pyramide de Maslow.
J’aurais voulu que ce pays s’arrête un instant pour s’interroger sur le sort qu’il a réservé aux retraités, ces hommes et femmes qui ont donné leur force de travail à la nation, qui au moment de se retirer de la vie active doivent passer plusieurs années et nombres de tracasseries avant de percevoir une maigre pension pour laquelle ils ont pourtant cotisé toute leur vie.
J’aurais voulu que ce pays s’arrête un instant pour s’interroger sur le sort qu’il a réservé aux opposants politiques à toutes les époques. Damnés de la République dès lors qu’ils affichent leur contradiction, ils sont dans le meilleur des cas exilés, bannis des médias publics ou interdits d’expression sur les places publiques. Dans le pire des cas, ils sont emprisonnés sans jugement ou condamnés à mourir dans des conditions mystérieuses qu’on se garde bien de chercher à élucider.
J’aurais voulu que ce pays s’arrête un instant pour s’interroger sur le sort qu’il a réservé à la volonté de ses citoyens, tant de fois exprimée dans les urnes depuis 1990, mais systématiquement bafouée, piétinée et ridiculisée comme si un pays pouvait durablement se construire contre la volonté de son peuple.
J’aurais voulu qu’on s’arrête tous un instant, Gabonais de toutes les ethnies et de toutes les origines, de toutes les croyances et de tous les bords politiques, pour se dire que notre pays n’aura aucun avenir en poursuivant sur ce chemin et que ce Gabon-là n’est pas celui que nous voulons léguer à nos enfants.
Le moment n’est-il pas venu de tourner la page et de changer ?
Le moment n’est-il pas venu de fonder la gestion publique sur des principes et des valeurs ?
Le moment n’est-il pas venu de construire un Gabon dont chacun pourra être fier ?
Cette responsabilité historique incombe plus que jamais à notre peuple. Désormais, c’est à nous, Gabonais, chacun à notre place, avec les moyens et les forces qui sont les nôtres, d’imposer une nouvelle direction à notre pays allant dans le sens du progrès, de la démocratie, de la préservation des libertés et de l’Etat de droit, de l’amélioration des conditions de vie des citoyens, de la justice sociale et de l’intérêt général. C’est comme cela, et uniquement comme cela, que nous pourrons transformer ce pays pour peut-être un jour en être fiers.
Mays Mouissi
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