Gabon – Masse salariale de l’Etat : évolution par administration, salaires moyens et poids de chaque ministère (Volet 3/5)
Depuis l’ouverture d’une réflexion des responsables publics sur la réduction de la masse salariale de l’administration publique, une partie du débat se focalise sur le poids présumé de la masse salariale de certaines administrations et leur évolution dans le temps. Afin d’enrichir le débat sur cette question, la présente analyse compare l’évolution des dépenses salariales de 29 administrations publiques qui représentent plus de 95% de la masse salariale entre 2008 et 2016. En l’absence de lois de règlement détaillées pour les exercices budgétaires 2008 et 2016, cette analyse se fonde exclusivement sur les prévisions contenues dans les lois de finances.
Entre 2008 et 2016, la masse salariale de l’Etat s’est accrue de 135% passant de 312 milliards FCFA à 732 milliards FCFA. Au cours de cette période, presque tous les départements ministériels et autorités administratives indépendantes du Gabon ont vu s’accroitre leurs dépenses salariales. En effet, Parmi les 29 administrations objet de notre analyse, seul le Conseil national de la communication (CNC) a vu ses dépenses salariales baisser entre 2008 et 2016. D’autres comme le département en charge de l’environnement et du développement durable ont accru leurs dépenses salariales de 7826%.
Evolution de la masse salariale de l’Etat par administration
En 2008 l’éducation nationale était le principal poste en termes de dépenses salariales au sein de l’administration gabonaise avec une affectation budgétaire de 71 milliards FCFA. 8 ans plus tard, en 2016, le ministère de la défense nationale surpassait l’éducation nationale tant en masse salariale qu’en effectifs. En effet, en 2016, la masse salariale projetée pour la défense nationale était de 166 milliards FCFA pour un effectif de 27 109 agents contre 149 milliards FCFA pour un effectif de 20 755 agents à l’éducation nationale. Même s’il convient de souligner que les dépenses salariales ont fortement augmenté entre 2008 et 2016 pour le ministère de la défense nationale (+179%) et pour le ministère de l’éducation nationale (+111%), force est de constater qu’au Gabon, la première administration est l’armée.
En 2016, la 3e administration du pays en termes de masse salariale était le ministère de la santé (comprenant notamment les affaires sociales et la solidarité nationale). Cette administration avait une dotation aux dépenses salariales de 91 milliards FCFA en 2016 contre 30 milliards en 2008 (+202%). Quant au ministère de l’intérieur dont les effectifs (8 966 agents) sont constitués principalement des forces de police nationale, sa masse salariale s’est accrue de 46 milliards FCFA (+257%) entre 2008 et 2016 pour s’établir à 64 milliards FCFA.
A eux quatre, les ministères de la défense, de l’éducation nationale, de la santé et de l’intérieur ont vu leur masse salariale s’accroitre de 292 milliards FCFA en 8 ans (environ 70% de l’augmentation de la masse salariale totale de l’Etat). Ils concentraient environ 60% des effectifs publics (70 067 personnes) et 64% de la masse salariale de l’Etat. A l’évidence, si une mesure de réduction des effectifs et de la masse salariale devait être appliquées, ces quatre administrations seraient certainement mises à contribution et ne pourraient échapper aux mesures d’austérité. Or, la sécurité (ministères de la défense et de l’intérieur), l’éducation (ministère de l’éducation nationale) et la santé (ministère éponyme) ont été érigés comme domaines prioritaires. Ces départements ministériels sont d’ailleurs à ce jour les seuls autorisés à effectuer des recrutements dans l’administration publique. Comment dès lors envisager la réduction de la masse salariale publique sans déprioriser certains départements ?
En effet, le gouvernement ne dispose que de 2 leviers principaux pour réduire rapidement la masse salariale publique :
- La réduction des effectifs qui implique le licenciement, la mise en retraite et/ou le transfert dans le privé de milliers d’agents publics ;
- La réduction des salaires qui implique la baisse du salaire de base et/ou la réduction/suppression des plusieurs primes et avantages.
Dans les deux cas précités, l’impact social et le coût financier pour le gouvernement ne sont pas neutres. Sur le plan social, outre l’accroissement de la pauvreté et de la précarité, une réduction des salaires des agents de l’Etat pourrait conduire à une crise sociale sans précédent dans le pays. Sur le plan financier, la réduction massive des effectifs entrainerait le paiement de milliers de compensations financières au moment même où les agences de notation à l’instar Moody’s constatent que l’Etat gabonais manque de liquidité et se montrent pessimistes pour l’avenir. C’est donc la quadrature du cercle.
Engager une réforme aussi impopulaire que la réduction de la masse salariale des agents publics nécessite du courage politique et de la légitimité. Si le bon sens commande de sacraliser l’éducation nationale et la santé, les autorités gabonaises seraient-elles prêtes à réduire drastiquement les effectifs au sein des administrations sous-tutelles des ministères de la défense nationale et de l’intérieur (36 075 agents) ainsi que leur masse salariale (230 milliards FCFA) ? En d’autres termes, est-il possible à un régime dont la légitimité est contestée par son opposition de soumettre son armée et sa police à une cure d’austérité ?
En outre, les ministères de l’économie-budget, de la justice, de l’enseignement supérieur ainsi que la Présidence de la République cumulaient en 2016 une masse salariale de 122 milliards FCFA (17% des dépenses salariales de l’Etat) et 14 866 agents publics. La seule Présidence de la République employait 1 333 personnes contre seulement 806 salariés au Palais de l’Elysée, siège de la Présidence de la République française, en 2016 (soit 527 salariés de moins qu’au Gabon). On peut donc raisonnablement penser que les mesures d’économies sur la masse salariale publique doivent aussi concerner l’administration présidentielle qui en plus d’être particulièrement fournie en effectif, dispose d’un salaire moyen mensuel théorique de 995 232 FCFA par agent.
Salaire moyen mensuel théorique des agents publics
Le salaire moyen mensuel des agents publics au Gabon est d’environ 577 986 FCFA. Il s’agit du salaire moyen mensuel constaté le plus élevé parmi les pays de la zone franc après celui de la Côte d’Ivoire. Cependant, en termes de rémunération, il existe de fortes disparités entre les administrations.
Ainsi, si l’on se réfère à la loi des finances 2016, le Conseil national de la démocratie (CND), une institution dont l’utilité n’a jusque-là jamais été démontrée, est celui qui offrait la rémunération moyenne mensuelle la plus élevée (2 642 212 FCFA). Ce résultat est le quotient de sa masse salariale (127 millions FCFA) rapportée ses effectifs (4 agents) tels que reportés dans le budget de l’Etat.
Le Conseil d’Etat, la Cour de Cassation et la Cour constitutionnelle figurent en tête des institutions dont le salaire moyen mensuel est le plus élevé (environ 1,2 million par mois). Suivent l’assemblée nationale, le sénat, les affaires étrangères et l’enseignement supérieur avec environ 1 million FCFA par mois.
En bas du tableau des rémunérations moyennes mensuelles, on retrouve le ministère de la défense nationale. Le salaire moyen dans l’armée gabonaise tous corps confondus s’élevait à 509 975 FCFA. Les militaires disposent de la masse salariale la plus élevée non pas en raison du niveau de leur salaire qui est relativement faible mais plutôt du fait de leur nombre qui lui est particulièrement élevé (27 109 agents). De fait, pour réduire la masse salariale de l’armée, il vaudrait plutôt mieux réduire les effectifs au sein des différents corps d’armées que de baisser les salaires des militaires. Cette préconisation peut également s’appliquer aux effectifs du ministère en charge de l’intérieur.
Les personnels du ministère de la santé et de l’éducation nationale, souvent présentés comme des privilégiés en raison notamment des différentes primes qui leur ont été concédés à la suite d’innombrables mouvements de grève figurent pourtant parmi les fonctionnaires les moins bien payés du pays. Certes leur salaire moyen mensuel est au-dessus de la moyenne nationale mais il n’atteint pas les 600 000 FCFA.
Variation du poids de la masse salariale de chaque département dans le budget de l’Etat entre 2008 et 2016
Premier budget de l’Etat en termes de masse salariale, le ministère de la défense est aussi celui qui a enregistré la plus forte progression de son poids dans les dépenses salariales de l’Etat entre 2008 et 2016. Son poids dans le budget est passé de 19% à 23% (+4%). Après la défense nationale, on retrouve le ministère de l’intérieur dont le poids dans les dépenses salariales de l’Etat a progressé de 3% sur la même période, idem pour le ministère de la santé.
Ainsi, entre 2008 et 2016, le poids cumulé de la défense nationale et de l’intérieur dans les dépenses salariales de l’Etat est passé de 25% à 32% (+7%). Dans le même temps le poids de l’éducation nationale dans les dépenses salariales de l’Etat a baissé de 2%, celui de la formation professionnelle de 0,5% et celui de l’enseignement scientifique de 0,3%. Ces constats s’expliquent en partie par les recrutements en masse effectués dans les corps d’armée et au sein de la police entre 2008 et 2016.
Mays Mouissi
Sources principales :
- Loi de finances 2008
- Loi de finances 2016
Merci, j’en ai appris beaucoup à travers cette article
Merci pour toutes ses informations sur le regard des institutions du Gabon… En somme, il y a plus de militaires que d’enseignant, plus de militaire que les agents de santés… Et pire, ils sont moins payés que les crapules du conseil national de la démocratie et tous les autres corps d’état qui ne servent à rien… Sinon à se demander qu’est ce que le conseil national de la démocratie à apporter à la démocratie au Gabon ?