[Interview] Le Gabon, la crise économique et le FMI : entretien avec Mays Mouissi
Nous reproduisons in extenso, le contenu de l’interview donnée par Mays Mouissi à l’hebdomadaire gabonais L’AUBE et publiée dans le numéro 178 paru ce mardi 27 juin. Dans cette interview, Mays Mouissi dresse un état des lieux de l’économie du Gabon, de la crise multiforme qui la fragilise et de l’intervention du FMI. Entretien.
L’AUBE : Vos analyses, vos observations…font autorité dans le domaine économico-financier. Mays Mouissi, en un seul mot, comment se porte le Gabon ?
Mays Mouissi : J’ignore si mes analyses font autorité comme vous le dites, je crois cependant qu’elles permettent d’ouvrir ou de prolonger le débat sur les questions économiques qui concernent notre pays et au-delà l’Afrique, notre continent.
Le Gabon et son économie sont des sujets bien trop vastes et complexes pour décrire leur état en un seul mot. Permettez que j’y déroge.
L’économie du Gabon connait une période difficile. Déjà affaiblie par la baisse drastique des cours du pétrole à partir du 4e trimestre 2014, la situation économique s’est dégradée plus encore avec la crise politique née de la réélection contestée d’Ali Bongo en aout 2016. Sur le plan social, la situation n’est guère plus reluisante. Les multiples grèves dans l’administration publique, y compris dans les régies financières, en témoignent. Le privé n’est pas épargné puisque de nombreuses entreprises ont dû massivement licencier quand elles n’ont pas simplement fermé.
La situation économique du Gabon est si précaire qu’elle a contraint le Chef de l’exécutif à accepter un appui du FMI en échange de la promesse d’engager des réformes structurelles majeures.
Ainsi à la question de savoir comment se porte le Gabon, le plus simple est de répondre que notre pays a déjà connu des jours meilleurs.
Allons-y, alors, dans les détails. Le projet de loi de finances rectificatif pour l’année 2017 a été adopté en Conseil des ministres le 19 mai dernier. Est-il sincère dans sa structuration, rationnel dans ses choix, réaliste dans ses prévisions…bref, est-ce qu’il vous parle ?
Je n’ai malheureusement pas encore eu le temps d’analyser en détail le projet de loi de finances rectificatif. Je le ferai certainement dans les prochaines semaines. Je pourrais éventuellement vous répondre à ce moment-là.
Les médias canadiens viennent de révéler des investissements immobiliers colossaux des officiels Gabonais parmi lesquels le directeur général des Impôts, Joël Ogouma. Ceci n’est-il pas de nature à créer l’incivisme fiscal ?
J’étais à Montréal (Canada) lorsque le Bureau d’enquêtes investiguait sur cette affaire. J’ai d’ailleurs eu la possibilité d’échanger par téléphone avec l’un des journalistes canadiens qui a réalisé ces investigations et je crois savoir que les éléments qui ont été rendus publics ne sont qu’un pan de cette affaire.
Quant à M. Joël Ogouma, je veux rappeler qu’il n’est qu’une personnalité citée dans cette affaire parmi d’autres. Le fait qu’il possède un bien immobilier à Montréal ne fait pas nécessairement de lui un agent de l’État véreux. Cela dit, il serait souhaitable que l’Agence nationale d’investigations financières (ANIF), la Commission nationale de lutte contre la corruption et l’enrichissement illicite (CNLCEI) et la Cour des comptes ouvrent une investigation sur l’origine des fonds qui ont permis d’acquérir des biens aussi chers à l’étranger. En effet, au Canada, les citoyens se demandent comment des hauts fonctionnaires gabonais parviennent à acquérir des biens de luxe en payant comptant, alors que leurs rares homologues canadiens qui arrivent acquérir des biens de même nature s’endettent sur 30 ou 40 ans pour le faire.
Concernant l’incivisme fiscal que pourrait créer le fait que le patron des impôts soit cité dans cette affaire, je crois qu’il faut faire la part des choses. À mon avis aucun contribuable ne se risquerait à ne pas payer son impôt à cause de cette affaire.
Yaoundé (Cameroun) a abrité le 23 décembre 2016 un sommet extraordinaire des chefs d’État de la CEMAC en présence du ministre de l’Économie et des Finances de la France, et de la directrice générale du FMI. On a parlé, un moment, de dévaluation…
Manifestement oui. Le communiqué final des travaux de ce sommet indiquait que les Chefs d’État de la CEMAC ont « relevés d’emblée que le renforcement de la stabilité macroéconomique ne nécessite pas un réajustement de la parité monétaire actuelle ». Cette seule phrase a suffi à créer le doute et à faire naitre toutes sortes de rumeurs sur une dévaluation prochaine du franc CFA. Il ne faut jamais dire jamais, mais aujourd’hui toutes les conditions qui pourraient justifier une dévaluation du franc CFA ne sont pas réunies. Au lieu de chanter les louanges d’un dirigeant politique à chaque prise de parole, les ministres en charge de l’Économie et du Budget gagneraient à rassurer l’opinion et les opérateurs économiques sur cette question. C’est un sujet suffisamment important pour qu’ils le fassent.
Nous savons ce que la précédente dévaluation a couté aux couches les plus défavorisées de la population. Je ne suis pas convaincu qu’une nouvelle dévaluation serait efficace pour relancer l’économie dans un pays qui a le niveau d’importation du Gabon.
Le fait d’être le premier pays de la CEMAC à recevoir un soutien du FMI n’est-il pas le signe d’une certaine crédibilité du Gabon ?
Il y a une habitude détestable que certains responsables ont installée dans ce pays qui consiste à tout politiser, y compris les questions les plus techniques. Ainsi, pour le gouvernement si le FMI a consenti un prêt au Gabon c’est grâce à la sagacité du Chef de l’exécutif, d’autres responsables soutiennent que c’est un signe ultime de crédibilité, d’autres encore considèrent que c’est la preuve que le FMI a définitivement pris parti pour Ali Bongo dans le conflit politique qui l’oppose à Jean Ping. Toutes ces positions sont assez loin de la réalité.
L’activation du Mécanisme élargi de crédit (MEDC) marque l’entrée du Gabon dans un plan d’ajustement structurel qui se traduira dans les prochaines semaines par des coupes budgétaires dans certains programmes de l’État. Il ne s’agit ni d’un signe de confiance ni de la légitimation d’une quelconque autorité politique. C’est juste la conséquence d’une gestion peu rigoureuse des finances publiques par les responsables qui se sont succédés à la tête de l’État gabonais au cours des dernières années.
Depuis la semaine dernière, le FMI a consenti un prêt de 642 millions USD au Gabon. De quoi est-il question ?
Le FMI a consenti un prêt de 642 millions USD au Gabon dans le cadre de son Mécanisme élargi de crédit (MEDC). Le MEDC est un système de prêt conditionné activé uniquement lorsque l’une et/ou l’autre des conditions suivantes est constatée : le pays qui en bénéficie est aux prises avec de graves déséquilibres de balance des paiements à cause d’obstacles structurels et/ou le pays qui en bénéficie affiche une croissance lente et une position de balance des paiements intrinsèquement fragile.
En d’autres termes, le FMI a décidé d’intervenir parce qu’il considère que la situation économique du Gabon est extrêmement dégradée. Vous pouvez constater que sur les 642 millions USD que le FMI accepte de prêter au Gabon, seuls 15% sont effectivement mis à la disposition du gouvernement. Avant de décaisser les 85% restants, le FMI veut s’assurer que le gouvernement fasse les réformes structurelles qu’il attend. On peut toujours ergoter sur la terminologie, mais quand le FMI accompagne un Etat en lui accordant des prêts conditionnés à la mise en œuvre d’importantes réformes structurelles, ce n’est pas autre chose qu’un plan d’ajustement structurel.
Sur ce prêt du FMI, Bruno Ben Moubamba estime que « le gouvernement a fait le choix de mettre le Gabon sous tutelle du FMI ». A-t-il tort de dire tout haut, ce que tout le monde pense tout bas ?
Je laisse M. Bruno Ben Moubamba responsable de ses propos. J’estime pour ma part que l’expression « mise sous tutelle » n’est pas appropriée, car elle renvoie à tout autre chose. Pour le reste, sur le constat qu’il dresse, je trouve des points de convergence. Comment pourrait-il en être autrement puisque pour se prononcer sur cette question, son parti, l’ACR, a repris des pans entiers de ma dernière analyse pour en faire un communiqué sans avoir l’honnêteté intellectuelle de me citer.
Vous dites que la dette du Gabon a connu une hausse de 200% de la dette publique depuis 2009. Votre argumentaire ?
Laissons de côté l’argumentation littéraire et préférons-lui une démonstration scientifique. En 2009, l’encours de la dette publique était de 1 368 milliards FCFA. Fin 2016, la dette publique représentant selon les hypothèses basses 4 000 milliards FCFA. La dette publique du Gabon a donc progressé de 192% entre 2009 et 2016. Si vous prenez les hypothèses hautes qui tablent sur 4 500 milliards FCFA de dette publique à fin 2016, cela fait une hausse 229% par rapport à 2009. Chacun peut le vérifier.
Ne comparez-vous pas un ratio de 18% d’encours de la dette sur PIB en 2008 qui n’intégrait pas dans les statistiques la dette intérieure, les instances du Trésor, les avances consenties par la BEAC, les remboursements et la dette due aux fournisseurs en cours d’audit et non prise en compte par le budget à celle de fin 2016 qui intègre tout cela ?
Votre question reprend les arguments que m’a fait parvenir un ministre que je ne vais pas citer par respect pour sa fonction. Je pense cependant que cette argumentation ne résiste pas à la réalité des chiffres. Pour mettre tout le monde d’accord prenons ceux de la Direction Générale de la Dette (DGE) qui est un département du ministère de l’Économie. Selon la DGE, l’encours de la dette publique en 2008 s’élevait à 1 181 milliards FCFA. Elle comprenait 1 033 milliards FCFA de dette extérieure (dette bilatérale, multilatérale, commerciale et aux marchés financiers internationaux comprises) et 148 milliards FCFA de dette intérieure (dont 68 milliards FCFA de dette au marché financier régional). Rapportez les 1181 milliards FCFA de dette publique en 2008 au PIB du Gabon de l’époque et vous trouverez environ 18%.
Le 26 février 2016, lors d’une conférence sur la dette que j’animais à la chambre de commerce de Libreville, j’affirmais que la dette du Gabon en 2016 s’élevait à 4 000 milliards FCFA. J’ai été heureux d’entendre le ministre de l’économie affirmer en mars dernier, plus d’un an plus tard, que l’encours de la dette en 2016 s’élevait bien à 4 000 milliards. Ainsi, lui et moi sommes d’accord pour dire qu’en un septennat, Ali Bongo et son gouvernement ont presque multiplié la dette de Gabon par 4.
Propos recueillis par Alphonse Ongouo