Gabon : Analyse de l’impact fiscal de l’interdiction d’exportation des grumes
6 ans après la décision du Chef de l’Etat gabonais d’interdire l’exportation de bois bruts issus des forêts de ce pays, la Banque mondiale a mesuré l’impact de cette mesure sur l’économie du Gabon. Les résultats de cette étude présentés au gouvernement le 3 juin dernier concluent à un impact largement négatif en matière fiscale. Aucune des taxes prélevées sur le secteur bois (activités de transformation comprises) n’a retrouvé son niveau de collecte d’avant 2009, bien au contraire les recettes fiscales tirées de ce secteur ont baissé de 80% entre 2008 et 2014.
Des recettes fiscales en baisse de 80%
Quand il s’agit de se prononcer sur l’impact de la mesure d’interdiction d’exportation de grumes, les autorités gabonaises évoquent plus spontanément le nombre d’unités de transformation du bois passé de 95 en 2010 à 130 en 2014 selon la direction générale des industries du bois. Bien souvent, elles s’abstiennent de communiquer sur l’impact fiscal de la mesure c’est-à-dire sur la part de revenus supplémentaires ou le manque à gagner que cette décision a entrainé pour l’Etat.
Décidée en Conseil des ministres le 5 novembre 2009 et mise en application intégralement à partir du 15 mai 2010, la décision d’interdiction d’exportation de bois bruts est en vigueur depuis 6 ans. Nous disposons désormais de suffisamment de recul pour en évaluer les impacts sur l’économie du Gabon. Souhaitant se livrer à cet exercice, la Banque mondiale a mesuré l’évolution des recettes fiscales tirées des taxes spécifiques au secteur bois entre 2008 et 2014. L’institution de Bretton Wood a ainsi mesuré l’évolution de la collecte de 3 types de taxes :
– La taxe de superficie qui permet de prélever une contribution sur la surface du permis forestier de façon différenciée selon qu’il soit aménagé (300 FCFA/hectare par an) ou non aménagé (600 FCFA/hectare par an).
– La taxe d’abattage / Exportation de bois transformés qui porte sur la valeur mercuriale des grumes abattues. Elle est due à la coupe avec un abattement de 15% pour les grumes exportées et 60% pour les grumes transformées
– Les DTS (Exportation des grumes) prélevés jusqu’en 2010 sur l’exportation de bois bruts.
Comme on pouvait s’y attendre, la collecte de ces 3 taxes s’est effondrée dès l’entrée en application de la décision d’interdiction d’exportation des grumes. Entre 2010 et 2011, la collecte de la taxe de superficie est ainsi passée 6.5 milliards FCFA à 1.67 milliards FCFA (-74%), celle de la taxe d’abattage est passée de 2.4 milliards FCFA à 300 millions FCFA (-87%) et celle des DTS est passée de 7.1 milliards à une collecte nulle (en 2008 elle avait rapporté 23 milliards FCFA à l’Etat).
Alors qu’on pouvait s’attendre à une remontée progressive de la collecte de ces différentes taxes (hors DTS) à partir de 2012 en raison des mesures incitatives tant vantées par le gouvernement qui auraient été prises, on constate au contraire un recul de la collecte entre 2012 et 2014. Au cours de cette période, la collecte de la taxe de superficie est ainsi passée de 5.2 milliards FCFA à 4.1 milliards FCFA tandis que celle de la taxe sur les produits transformés est passée de 2.5 à 2.4 milliards FCFA. La collecte totale des impôts forestiers est ainsi passée de 7.7 milliards FCFA en 2012 à 6.5 milliards en 2014 soit une baisse de 16% sur la période.
Une interdiction nécessaire mais précipitée
En décidant d’interdire l’exportation de bois non transformés, la volonté affichée par les autorités gabonaises était de créer localement de la valeur ajoutée par la formation d’un tissu industriel national dédié à la transformation du bois. Si il faut saluer, voire même encourager, cette volonté de sortir le Gabon du système de rente forestière, il faut également reconnaître que cette mesure fut brutale et insuffisamment préparée.
En effet, l’idée de faire des spécialistes de la coupe de bois ou du négoce, des industriels spécialisés de la transformation de bois telle que soutenue par certains tend méconnaître qu’il s’agit de métiers différents, qui n’appellent pas les même compétences ni la même expertise. Par ailleurs, la densification du volume de transformation locale du bois nécessite de la main d’œuvre qualifiée en flux tendus. Or, les travaux de la seule école des métiers du bois du pays localisée à Booué (Ogooué Ivindo) sont à l’arrêt depuis plusieurs mois privant ainsi le secteur des compétences dont il a besoin pour émerger.
En outre, pour accompagner l’obligation de transformation du bois faite aux industriels, il aurait fallu créer des débouchés nationaux pour ces produits transformés et créer ainsi un système auto-entretenu. En ce sens, le lancement d’un vaste programme public de construction de logements en bois durables concomitamment à l’entrée en vigueur de la mesure d’interdiction aurait fait sens et constitué un débouché naturel pour la filière en même temps qu’il aurait permis de résoudre le déficit en logement évalué à 200 000 unités. Au lieu de cela, pour l’un des rares programmes immobiliers lancés au cours des 7 dernières années, le gouvernement préféra ériger des logements préfabriqués modulables dont les matériaux furent importés de Turquie.
S’il apparaît clair que maintenant qu’il s’est prononcé en faveur de l’interdiction d’exportation de grumes l’Etat ne doit pas reculer, il devient urgent qu’il prenne des mesures supplémentaires pour booster la transformation locale de bois. Il pourrait à court terme abonder le fonds de soutien au secteur et à moyen terme proposer une fiscalité intelligente et incitative pour la réalisation d’investissements partout sur le territoire. Enfin, la décision du gouvernement d’orienter une partie de la commande publique vers l’achat de meubles issus de la transformation nationale de bois va dans le bons sens. Cette mesure mérite d’être véritablement mise en œuvre et amplifiée.
Mays Mouissi
Source principale :
– Rapport de la Banque mondiale sur l’impact de la mesure d’interdiction des grumes sur l’économie du Gabon, 2016
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