Zone Franc : Le Franc CFA et la politique monétaire
Au lendemain du sommet de Yaoundé qui a reuni les ministres des finances des pays de la zone Franc et le ministre français des finances Michel Sapin, la question de l’avenir du FCFA à fait son retour dans le débat, l’occasion pour nous (ndlr : la Rédaction de Gabon ma terre) de recueillir l’avis de Mays Mouissi sur la question.
Gabon ma terre : Bonjour Mays Mouissi
Mays Mouissi : Bonjour et merci de m’offrir l’opportunité de m’exprimer dans vos colonnes.
Voilà que la réunion semestrielle des ministres de finances des pays de la zone franc vient de s’achever à Yaoundé au Cameroun et l’incontournable question sur l’avenir du Franc CFA continue d’être au cœur du débat, Sur fond d’interrogations sur l’avenir de la monnaie France africaine que faut-il réellement savoir sur le Franc CFA, a-t-Il fait son temps ?
Le Franc CFA désigne 2 monnaies : le franc de la communauté financière d’Afrique partagé par les 8 pays membres de l’UEMOA dont le code de devise est XOF et le franc de la coopération financière en Afrique centrale partagé par les 6 pays membres de la CEMAC dont le code de devise est XAF.
Héritées de la colonisation, ces 2 devises ont en commun d’avoir une parité fixe avec l’Euro et de bénéficier de la garantie de l’Etat français qui assure la liberté de transfert et la libre convertibilité Euro/FCFA. En contrepartie, les 14 Etats de l’UEMOA et de la CEMAC se sont engagés par le biais d’une convention de compte d’opérations à déposer 50% des leurs réserves extérieures auprès du Trésor public français.
Concernant la question de savoir si le FCFA a fait son temps, il faut se garder de répondre en se fondant sur le dogmatisme. Cette question doit être tranchée par un débat économique et monétaire argumenté, qui tienne compte des avantages et des inconvénients de ces devises. En tous les cas, si l’on peut remettre en cause les 50% des réserves extérieures déposées par les Etats auprès du Trésor français dont le niveau me parait encore trop élevé, il me semble que les pays de l’UEMOA et la CEMAC ont tout intérêt à conserver une monnaie commune à tous les pays membres de ces espaces communautaires.
Le fait que le Franc CFA soit déconnecté des réalités économiques et sociales des pays africains, les relations institutionnelles entre les pays africains et la France et les mécanismes de fonctionnement de la Zone Franc (en partie celui relatif au dépôt de la moitié des réserves de change en France) constituent-ils un obstacle au développement des pays africains ?
Il serait réducteur de dire que le Franc CFA est déconnecté des réalités économiques et sociales des pays africains. La politique monétaire est un instrument de développement mais ce n’est pas la monnaie seule qui fait le développement d’un pays. Si c’était le cas, les 40 pays d’Afrique dont la monnaie n’est pas le FCFA seraient tous développés.
Cela dit je suis favorable à ce que les Etats de la zone Franc négocient une révision de la convention de compte d’opérations au moins sur 2 aspects :
– La baisse de 20 points du niveau des réserves obligatoires à déposer au Trésor français. Elles passeraient ainsi de 50% à 30% et laisseraient aux Etats plus de marges de manœuvres financières.
– La révision à la hausse des taux de rémunération des dépôts en compte d’opérations et en compte spécial de nivellement (CSN) qui aujourd’hui me semblent bien trop bas. En effet, les avoirs en compte d’opération ne sont rémunérés qu’à hauteur de 0.3%, ce qui correspond au taux de la facilité marginale de la Banque centrale européenne (BCE) tandis que ceux en CSN ne le sont qu’à hauteur de 0.05% correspondant au taux de refinancement de la BCE (Taux REFI).
Pour le reste, je pense que le développement tant souhaité par les pays zone franc passe d’abord et surtout par une meilleure gestion des finances publiques, la réalisation d’investissements structurants, un investissement résolu dans l’éducation et la santé, une lutte acharnée contre la corruption, le respect des principes démocratiques dans le fonctionnement de l’Etat, etc.
Pour bon nombre d’experts aujourd’hui les politiques monétaires des BCA (BCEAO et BEAC) doivent changer surtout quand on sait qu’elles sont calquées sur celle de la Banque Centrale Européenne (BCE) dont le credo monétariste donne la priorité à l’inflation. Comment nos deux institutions d’émission du Franc CFA (BCEAO et BEAC) peuvent elles assurer le développement des pays membres en ne favorisant pas la croissance et la création d’emplois car ayant pour priorité la « stabilité des prix » ?
La question que vous posez est fondamentale car elle procède de l’orientation statutaire qui préside aux politiques monétaires des instituts d’émissions. La mission principale de la BCE est de lutter contre l’inflation, il en est de même pour la BEAC et la BCEAO. A l’inverse, la Federal Reserve (FED), qui assure les missions de banque centrale aux Etats-Unis, a pour mission principale de favoriser la création d’emplois. Il s’agit là de 2 stratégies de politique monétaire différentes.
Pour ce qui est de l’inflation, c’est-à-dire l’augmentation généralisée des prix à la consommation, la BCE, la BCEAO et la BEAC remplissent plutôt bien cette mission puisque les taux d’inflation des zones Euro et CFA restent contenus en dessous de 3%. Cependant, dans un contexte de crise, où l’inflation peut accroitre la rentabilité des entreprises et ainsi accroitre les revenus des Etats, beaucoup se demandent s’il n’aurait pas été plus utile d’adopter une politique monétaire à l’américaine.
Ce débat est ouvert au sein de la BCE et la réponse n’est malheureusement pas binaire. Les 2 modèles présentent des avantages et des inconvénients. La politique monétaire centrée sur la lutte contre l’inflation vise à préserver les agents économiques des hausses brutales des prix. La politique américaine orientée sur l’emploi, s’appuie depuis plusieurs années sur les mécanismes d’assouplissement quantitatif (Quantitative Easing 1, 2 et 3) qui se traduisent par des injections massives de liquidité avec le risque de créer des bulles nocives à la stabilité financières.
En pratique, la BCE procède déjà à des injections de liquidité dans la zone Euro. Cependant, je ne pense pas qu’une politique monétaire similaire au sein de l’UEMOA et de la CEMAC aurait des résultats concrets au plan économique compte-tenu du faible niveau d’inclusion financière de ces espaces.
Merci Mays Mouissi
Propos recueillis par Lewis Bachama pour Gabon ma terre