Bénin 2016 : Un budget de transition conforme aux priorités gouvernementales ?
Comme à l’accoutumée, le mois de décembre symbolise la période pendant laquelle les gouvernements des pays de la CEDEAO défendent les projets de loi de finances pour le prochain exercice devant les représentants du peuple. Au Bénin, le budget de 2016 a été adopté avec 75 voix pour et 8 voix contre à hauteur de 1 552 milliards de FCFA.
Il se distingue par les points suivants :
• Le budget sera exécuté par un nouveau gouvernement à l’issue des élections présidentielles du 28 février 2016.
• Les réformes en matière de gestion des finances publiques s’articulent autour de l’amélioration de la qualité de la dépense, l’amélioration de la gouvernance des sociétés et offices d’Etat et l’augmentation des transferts au profit des communes.
• L’orientation économique stratégique définie pour la période 2012-2016 vise le développement de l’entreprise et l’initiative privée, notamment : les infrastructures (énergie, transport, NTIC), la productivité du secteur agricole, le renforcement de l’accès à l’éducation et aux soins de santé de qualité, et le développement local.
Le Bénin a connu une croissance stabilisée autour de 5,5% au cours des 3 dernières années. Cette croissance fut notamment stimulée par la production cotonnière, le secteur des BTP et le trafic portuaire.
Les visions de « refondation » et de « changement » du gouvernement ont entraîné des réformes ambitieuses dans de nombreux secteurs. Au regard des ressources conséquentes qui y ont été investies, le présent article s’interroge sur la cohérence du budget 2016 tant au niveau des hypothèses qui le sous-tendent que des priorités d’allocations comparativement aux objectifs à moyen terme.
Les hypothèses du budget
Le budget 2016 est un budget de transition étant donné qu’il est voté à la veille d’une élection présidentielle qui entrainera une alternance à la tête de l’Etat. L’arrivée d’un nouveau gouvernement au pouvoir pourrait remettre en cause certains postes budgétaires, de manière drastique ou pas. Il faudrait s’attendre à de nouvelles orientations qui rendraient d’autres secteurs prioritaires. Aussi, la mise en œuvre de nouvelles politiques publiques prend du temps et a des effets perceptibles à moyen voire long terme. La performance du budget 2016 pourrait être mitigée.
L’économie béninoise est vulnérable à divers chocs et externalités. Les pays partenaires voisins ou occidentaux connaissent également des changements tels qu’une alternance ou une récession qui pourraient freiner les perspectives de croissance. La baisse du pouvoir d’achat du citoyen béninois continue également d’avoir des effets sur les flux commerciaux et la productivité.
Enfin, les leviers de croissance sur lesquels reposent le budget, à savoir l’agriculture (le coton), les infrastructures (notamment les NTIC), et le trafic portuaire sont des secteurs sous-performant au regard des investissements qui leur sont consentis. Ils ne stimuleront réellement la croissance que si les dirigeants entreprennent d’importantes réformes institutionnelles et en matière de gouvernance (dont la lutte contre la corruption).
Les principes de la gestion des finances publiques
L’amélioration de la qualité des dépenses : les indicateurs de performance de la gestion des finances publiques en 2014 (cf. rapport PEFA) sur les volets A. Résultats du système de gestion des finances publiques (crédibilité du budget) et C2. Prévisibilité et contrôle de l’exécution du budget montrent que la crédibilité du budget se détériore tandis que le Bénin stagne au niveau des multiples indicateurs de prévisibilité et de contrôle. L’Etat ne peut pas aspirer à une bonne gouvernance financière sans veiller à la traçabilité, la maîtrise et la transparence dans les dépenses.
L’amélioration de la gouvernance des sociétés et offices d’Etat : les contributions de l’Etat versées aux 189 entreprises publiques et offices d’Etat recensées ont quasiment doublé depuis 2013, passant de 22,9 à 46,9 milliards FCFA. En revanche, les impôts/taxes payés et les dividendes versés par ces entreprises à l’Etat suivent la tendance inverse 9,6 à 8,37 milliards FCFA. Il semble exister une incitation perverse qui compromet la gouvernance et l’efficacité des entités publiques. Bien que ces subventions bénéficient pour la plupart aux secteurs productifs et sociaux, il s’avère que les retours sur investissement sont moindres.
L’augmentation des transferts au niveau des communes : les collectivités locales disposent de recettes propres et de transferts réalisés par l’Etat cental. Ces transferts sont en hausse de 32.8% en 2012 et 2013 (de 21,5 à 35,1 milliards FCFA) avec les allocations dédiées principalement à la décentralisation et à l’éducation ; les secteurs de la santé, l’énergie/eau et l’agriculture/élevage/pêche ont des dotations plutôt insignifiantes. Cependant, en l’espace de ces deux années, on note que la hausse dans les transferts a induit une légère baisse en recettes propres (de 25,4 à 23,9 milliards FCFA).
L’augmentation des transferts vise à permettre aux élus locaux de faire face aux besoins des communes, il est important que, parallèlement, les communes œuvrent à une plus grande indépendance financière.
Les allocations budgétaires 2016 cadrent-elles avec la programmation stratégique pluriannuelle ?
Le gouvernement béninois a défini une orientation économique quinquennale couvrant la période 2012-2016 et axée sur « le développement de l’entreprise et de l’initiative privée ». Le document de programmation budgétaire pluriannuelle 2016-2018 présenté au parlement définit 4 points d’applications stratégiques pour l’exercice 2016. Il s’agit de :
1. Renforcer les infrastructures dans le domaine de l’énergie, du transport et des TIC ;
2. Améliorer la productivité agricole et favoriser le développement de l’agro-industrie ;
3. Améliorer l’accès à l’éducation et à la santé ;
4. Promouvoir le développement local.
Pour apprécier la façon dont ces points d’applications stratégiques se traduisent dans le budget, nous avons comparé l’évolution des dotations budgétaires aux ministères en charge de ces programmes entre 2015 et 2016.
Ainsi observe-t-on que dans les ministères liés au point stratégique Infrastructures (Energie/Transports/TIC), les dotations budgétaires seront plutôt en baisse en 2016. En effet, les ministères de l’énergie et de l’eau sont les seuls dont les budgets cumulés connaissent une légère progression par rapport à leur niveau de 2015 (+ 381 millions FCFA). Les dotations budgétaires du ministère des travaux publics et des transports baissent de 12% (-11.2 milliards FCFA) tandis que le budget du ministère en charge des TIC baisse de 5% (-1.13 milliards FCFA).
Le budget du ministère de l’agriculture en charge d’améliorer la productivité agricole progressera de 9% en 2016 (+6.8 milliards FCFA). Pour ce qui est de l’éducation et la santé, le constat est plus contrasté. Le budget du ministère de la santé va baisser de 8% (-7 milliards FCFA) tout comme le ministère de l’enseignement secondaire et de la formation professionnelle baissera de 3% (-1.9 milliards FCFA). A l’inverse le ministère en charge de l’alphabétisation verra ses dotations budgétaires s’accroitre de 15% (+1.5 milliards FCFA), celles du ministère de l’enseignement maternel et primaire progresseront de 1% (+1.3 milliards FCFA).
Enfin, le budget du ministère de la décentralisation, en charge du développement local, a baissé au de 23% (-10.3 milliards FCFA).
Rappelons, pour conclure, que les 5 plus grosses dotations budgétaires en 2016 ont été allouées au ministère de l’enseignement maternel (105 milliards FCFA), au ministère de la santé, de l’agriculture et des travaux publiques (79 milliards FCFA chacun) et au ministère de la défense (58 milliards FCFA).
Quelles réformes pour mieux cadrer avec la stratégie pluriannuelle ?
Avec une croissance du PIB autour de 5% sur les 3 dernières années budgétaires, le Bénin doit désormais parvenir à consolider et amplifier cette croissance en la rendant plus inclusive. Pour y parvenir, l’Etat béninois doit œuvrer à accroître ses recettes budgétaires, renforcer l’amélioration de son environnement des affaires (le Bénin est classé 158 sur 189 pays au Doing Business) et diversifier ses partenaires économiques.
Densifier les recettes budgétaires et maitriser la dépense publique
L’analyse des recettes budgétaires de l’Etat béninois telles que traduites dans la loi de finances 2016 permet de constater la part prépondérante des recettes fiscales : elles représentent plus de 88% des recettes de l’Etat. Pour soutenir la politique d’investissements publics du gouvernement, il est indispensable d’accroitre les recettes intérieures de l’Etat qui devraient s’élever à 923 milliards FCFA en 2016.
Ainsi, le FMI a-t-il préconisé au Bénin, à l’issue des consultations réalisées en décembre 2015 au titre de l’article IV, d’accélérer la réforme des finances publiques en cours. Les réformes fiscales et douanières, une fois mises en place, devraient permettre une meilleure collecte des recettes et un accroissement des ressources publiques.
Par ailleurs, une meilleure maitrise de la dépense publique est devenue indispensable. Le Benin gagnerait à réduire ses charges de fonctionnement (notamment les dépenses de personnel et de transfert qui représenteront environ 466 milliards FCFA en 2016) au profit des dépenses d’investissement. Le gouvernement se doit de privilégier l’investissement dans des secteurs structurants porteurs de croissance. L’amplification du financement des projets d’infrastructures apparait donc comme nécessaire.
Parallèlement, il est important que l’Etat béninois réduise son train de vie : les prévisions 2016 de la Présidence et des structures qui y sont rattachées s’élèvent à 17,9 milliards FCFA, des allocations plus élevées que celles prévues pour les portefeuilles tels que l’industrie et le commerce, la jeunesse ou la microfinance, secteurs décrétés prioritaires. Ainsi, il est nécessaire de faire de meilleurs arbitrages budgétaires.
Améliorer l’environnement des affaires
158e au classement Doing Business, 28e parmi les pays d’Afrique sub-saharienne, l’environnement des affaires au Bénin reste encore perfectible. Certes entre les classements 2015 et 2016, le Bénin a gagné 4 places grâce notamment aux progrès qu’il a réalisé dans les domaines Commerce transfrontalier (+40) et Octroi des permis de construire (+6). Cependant, le pays a régressé dans les domaines Obtention de prêts (-5), procédures de règlement des impôts (-3) ou Transfert de propriété (-2).
Compte-tenu de la prépondérance du secteur informel dans l’économie béninoise, les mesures adaptées devraient être également orientées vers ce secteur. Des réformes sont actuellement en cours dans ce domaine, le gouvernement gagnerait à les poursuivre en renforçant notamment :
– La mise en place des mesures incitatives à la formalisation des entreprises et au recrutement des salariés ;
– L’allègement des charges fiscales des entreprises, notamment des PME et des entreprises nouvellement créés. Des mécanismes d’exonérations pourraient être envisagés dans certains cas ;
– L’apurement de la dette intérieure envers les entreprises et l’optimisation des mécanismes budgétaires pour assurer les règlements envers les sociétés à bonne échéance.
Au plan strictement macro-économique, une amélioration de l’environnement des affaires faciliterait la création et la pérennité des entreprises, tout en favorisant un accroissement des investissements directs étrangers (dont le flux s’élevait à 159 millions USD en 2012 et le stock à 912 millions USD). Enfin, si le Bénin réussissait à simplifier son environnement des affaires, il parviendrait certainement à accroitre le nombre de contribuables et par voie de conséquence réaliserait une collecte d’impôts plus efficace.
Diversifier les partenariats économiques
Même si la France reste encore le principal partenaire commercial du Bénin (le total des échanges entre les 2 pays s’est élevé à 269 millions € en 2014), l’économie béninoise est structurellement dépendante des échanges commerciaux avec le Nigéria, qui achète près de 49% de ses biens et services. La proximité avec ce pays de 174 millions d’habitants offre en effet au Bénin un débouché bien plus large que son marché intérieur encore trop étriqué. Cependant, avec la baisse des cours du pétrole (dont le baril ne s’échangeait plus qu’à 38 USD le 31 décembre 2015), le Nigéria fait face un à ralentissement économique qui n’est pas sans conséquence pour le Bénin tout comme la très faible croissance de la France.
Il est donc urgent pour l’Etat béninois d’élargir sa base d’exportation encore trop dépendante du coton puis de diversifier ses partenaires économiques. Le Bénin doit en effet construire une économie résiliente et capable de résister aux chocs exogènes notamment ceux liés aux orientations économiques de son voisin nigérian qui ont aujourd’hui un impact non négligeable sur ses recettes.
L’appartenance du Bénin à la fois à la CEDEAO et à l’UEMOA devrait être un accélérateur d’échanges avec commerciaux intra-régionaux avec les pays membres de ces organisations. Par ailleurs, si le Bénin parvenait à accroitre ses capacités portuaires, il pourrait mieux profiter du transit des marchandises vers les pays voisins ne possédant aucun débouché maritime.
Yacine Bio-Tchane & Mays Mouissi
Sources principales :
– Document de Programmation Budgétaire et Economique Pluriannelle
– Lois de finances 2015 et 2016 de la République du Bénin ;
– Communiqué de presse n° 15/569 du 16/12/2015 du Conseil d’administration du FMI suite aux consultations de 2015 au titre de l’article IV avec le Bénin ;
– Note d’analyse « Investissements direct étrangers » du service économique de l’ambassade de France au Togo (2014) ;
– Classement Doing Business 2016 de la Banque mondiale
– Evaluation PEFA, Bénin