Afrique : Quelles stratégies pour adapter les formations aux besoins économiques du continent ?
Sollicité par des journalistes de l’hebdomadaire congolais TerrAfrica qui m’interpellaient sur le fait que les économies africaines souffraient de l’inadéquation entre les formations proposées localement et les emplois disponibles, ils m’ont ainsi fait l’honneur de m’interviewer. Cet échange succinct qui prend la forme d’une réflexion prospective suggère des stratégies à développer pour adapter l’offre de formation aux besoins économiques du continent. Ci-dessous, l’intégralité de l’interview publiée en page 24 du numéro 54 de TerrAfrica (dont vous pouvez télécharger la version papier ici).
TerrAfrica : Selon vous, la chute des prix du pétrole et la baisse de la demande chinoise devraient amener les états africains à repenser leurs politiques d’éducation?
Mays Mouissi : La forte exposition de nombreux pays africains aux fluctuations des cours des matières premières oblige à une redéfinition de nos politiques économiques. Il est urgent de passer d’une économie de rente à une économie de transformation, beaucoup plus créatrice de valeur pour les Etats et pour les peuples. Ce changement de modèle économique devenu indispensable passe nécessairement par le développement de formations techniques spécialisées susceptibles d’accompagner ce mouvement.
Beaucoup de pays africains souffrent d’une pénurie d’ingénieurs et de techniciens supérieurs…
Des études de la Banque mondiale ont démontré la prépondérance des disciplines de l’enseignement général dans l’offre de formation de nombreux pays africains. Dans certains pays les formations scientifiques et techniques ne représentent que 19% de l’offre de formation universitaire. Par ailleurs, les Etats n’ont pas toujours développé sur leur territoire des formations pourtant indispensable à leur économie. L’exemple du Gabon est particulièrement révélateur. Alors qu’on y exploite le pétrole depuis 1957, c’est seulement en 2014 que fut inauguré le premier Institut du pétrole du pays.
Comment combler ce déficit de formations techniques ?
Nos états doivent se montrer beaucoup plus volontaristes dans la mise en place des formations locales aux métiers qui soutiennent leurs stratégies de croissance. Les gouvernements disposent de plusieurs leviers pour favoriser l’élargissement de l’offre de formation (en lien avec des acteurs non-étatiques) et de peser sur l’orientation des étudiants au travers de l’attribution de bourses pour les formations scientifiques et techniques.
Pour quel type d’école ?
Des établissements pluri-disciplinaires à cycles complets doivent être développés en même temps que des établissements de formation hautement spécialisées. A ce titre, il faut encourager les grandes écoles occidentales qui installent des campus en Afrique. C’est le cas notamment de HEC qui se développe en Afrique de l’Ouest. Il faut amplifier ce processus par des partenariats ou en proposant des incitations.
Le secteur privé pourrait-il jouer un rôle dans la création d’écoles ?
Il faut donner la possibilité aux entreprises de participer à la formation des jeunes pour favoriser l’adéquation formation/emploi. Les gouvernements africains pourraient conditionner l’attribution des grands contrats miniers et pétroliers à la signature d’une clause exigeant des compagnies qu’elles construisent des établissements spécialisés pour former leurs futurs collaborateurs. Ainsi pourrait s’opérer un transfert de compétence et à moyen terme ces établissements pourraient devenir des pépinières de recherche et de développement, porteuses d’une innovation inspirée des demandes locales dont le Continent manque si cruellement.
Quels domaines d’enseignements professionnels seraient à privilégier ?
Tous ceux qui portent la croissance africaine en tenant compte des spécificités propres à chaque pays. L’ingénierie du bois, du bâtiment ou des mines présente beaucoup d’opportunités. Tout comme les techniques de Télécommunications, très présente sur le Continent et dont les services proposés gagneraient à mieux prendre en compte les spécifités africaines. Enfin dans une Afrique en mutation, la formation aux métiers du tertiaire demeure indispensable.
Interview réalisée le 1er septembre 2015 par Jean-Luc Barberi et publiée dans l’Hebdomadaire congolais TerrAfrica du 26 septembre 2015 en page 24