CEMAC : Peut-on relancer la croissance par la politique monétaire ?
Le 9 juillet, à l’occasion de la réunion de son comité de politique monétaire (CPM) la Banque centrale des états d’Afrique centrale (BEAC) a dressé le tableau des perspectives économiques des pays de l’espace CEMAC*. Constatant, une dégradation des principaux agrégats économiques de la sous-région en raison notamment de la baisse des cours du pétrole, la BEAC a consenti à réduire son principal taux directeur. Si l’intervention de la banque centrale a vocation à relancer l’économie, l’observation de l’environnement bancaire sous-régional permet de douter de l’efficacité de ces mesures dans des pays où les populations sont très faiblement bancarisées et où l’accès au crédit demeure une gageure.
Baisse des prix du pétrole et ralentissement économique
Sur les 5 agrégats qui font l’objet d’observations et d’analyses par le CPM, seule l’inflation qui mesure les fluctuations des prix pour les consommateurs a connu une évolution positive pour les pays de la région. En effet, entre 2014 et 2015 l’indice des prix à la consommation devrait passer de 3.7 à 2.9%, traduisant une baisse des prix de 0.8% à l’échelle régionale.
Les projections du CPM sur les autres agrégats restent plus mitigées. La BEAC projette une croissance du PIB sous-régional de 2.8% en 2015 contre 4.9% l’année précédente. Le ralentissement économique observé trouve son explication principalement dans la chute des prix du pétrole qui occupent une place structurante dans les finances publiques des pays de la région (5 des 6 pays de la zone sont des producteurs de pétrole). Autre conséquence du ralentissement économique projetée par la BEAC, le déficit du solde budgétaire et du compte extérieur courant devrait s’accroitre. Par ailleurs le taux de couverture de la monnaie devrait s’établir à 78.4% en 2014 contre près de 96% en 2014.
Baisse du principal taux directeur, quel impact ?
Fort de ces constats, la BEAC a réduit de 50 points de base** son principal taux directeur***. Le taux d’intérêt des appels d’offres (TIAO) a ainsi été fixé à 2.45% contre 2.95% auparavant.
En réduisant le loyer de l’argent, la BEAC tente une relance de l’économie par l’action de la politique monétaire qui constitue de fait le seul levier dont elle dispose. S’il faut saluer l’initiative de la révision à la baisse du TIAO, on peut cependant douter de l’efficacité de la mesure pour relancer la croissance. En effet, pour pouvoir réellement booster la croissance sous-régionale, la baisse des taux directeurs devrait se traduire au niveau de chaque Etat par une baisse des taux d’intérêt des banques commerciales et par un accroissement des crédits accordés au bénéfice de l’économie réelle.
Or, on observe que le système bancaire des pays de la CEMAC se distingue par une part importante de la population et des entreprises (PME notamment et appartenant très largement au secteur informel) qui ne sont pas bancarisées. En 2014, en effet le taux de bancarisation des populations de la CEMAC n’atteignait pas 8%. Il en résulte que la proportion des particuliers et des entreprises qui ont recours au financement bancaire demeure marginale. La faible densité de personnes ayant accès aux financements bancaires est de nature à annihiler les effets attendus de la révision à la baisse du TIAO.
Les limites de la politique monétaire
Les banques commerciales de l’espace CEMAC ont la réputation d’être en situation de surliquidité. Un constat qui traduit un faible volume de prêts accordés au bénéfice du financement de l’économie en proportion volume de liquidité dont disposent ces établissements bancaires. Souvent accusées de rechigner à financer des projets qui leur sont présentées, les banques de la CEMAC comme d’autres en Afrique sont confrontés à la difficulté qu’éprouvent leurs clients pour leur fournir des garantis susceptibles de couvrir des emprunts de long-terme. En effet, sur le seul exemple des sûretés immobilières, on observe dans de nombreux pays, l’absence de cadastres efficients qui privent les acteurs économiques (particuliers et entreprises) de justificatifs de propriété sur des biens qu’ils possèdent pourtant. Ces acteurs économiques, au moment de solliciter un crédit ne peuvent justifier de la possession de sûretés réelles et voient ainsi leurs dossiers fragilisés.
Plus qu’une action sur la politique monétaire, la crise du pétrole qui frappe les pays de la région doit être l’occasion d’engager des réformes structurelles pour les Etats mais aussi une réforme du système bancaire qui permettent aux établissements financiers d’être en capacité de financer les investissements tout maintenant un cout du risque modéré.
Mays Mouissi
* La communauté économique et monétaire d’Afrique centrale (CEMAC) réunit les 6 pays d’Afrique centrale ayant en partage le Franc CFA. Il s’agit du Cameroun, de la Centrafrique, du Congo, du Gabon, de la Guinée Equatoriale et du Tchad
** 1 point de base = 1 / 10000 (soit 0.0001 ou 0.01%). 50 points de base = 0.5%
*** Les 5 principaux taux directeurs de la BEAC (aussi appelés taux d’intervention) sont :
– Le taux d’intérêt des appels d’offres (TIAO) ;
– Le taux d’intérêt des prises en pension (TIPP)
– Le taux de pénalité (TP)
– Le taux d’intérêt sur les interventions ponctuelles (TISIP)
– Le taux d’intérêt sur les avances exceptionnelles
Sources principales :
– Communiqué de presse du comité de politique monétaire de la BEAC du 9 juillet 2015
– Communiqué de presse du comité de politique monétaire de la BEAC du 18 décembre 2014
Bonsoir, je recherche une avis d’expert.
Étant partisan de la relance de la croissante par le crédit à l’économie réelle, j’aimerais savoir si les analyses économiques permettent de déterminer le montant maxi à injecter dans une économie sans risquer une inflation préjudiciable aux agents économiques.
Pour relancer la croissance, cette somme servirait à financer uniquement des projets dont la caractéristique principale est de permettre le remboursement des sommes investies en 5 ans.
Dans le cas de la CEMAC, les projets à privilégier devraient être ceux qui ont la capacité d’augmenter la productivité de denrées alimentaires telles que le poulet et le poisson.