Libre circulation dans l’espace CEMAC : Entre espoir et crainte
A l’issue de la 12e session ordinaire du sommet des chefs d’Etats de la communauté économique et monétaire d’Afrique centrale (CEMAC), les citoyens de l’espace communautaire ont été informés de la décision de faire appliquer la libre circulation des personnes dans les 6 pays membres avec effet immédiat.
Les conditions de la libre circulation des personnes
La libre circulation des personnes au sein de l’espace CEMAC a été préconisée dès 2005 par l’acte additionnel n° 08/CEMAC-CEE-SE du 29 juin 2005. Cependant, c’est seulement le 25 juin 2013 que la conférence des chefs d’Etats de la zone décidait de la suppression des visas pour tous les ressortissants de la CEMAC circulant dans l’espace communautaire
En dépit des dispositions de l’article 1er de l’acte additionnel n° 01/13 de la CEMAC qui fixait au 1er janvier 2014 la prise d’effet de la libre circulation des personnes, c’est finalement en 2015 qu’elle sera effective. C’est d’ailleurs cet acte additionnel qui détermine les droits et les obligations attachés à la libre circulation qui peuvent être résumés en 3 points :
– Les ressortissants des états membres de la CEMAC peuvent circuler librement au sein des 6 états membres de la communauté sous réserve de présentation d’un passeport ou d’une carte d’identité en cours de validité délivré par l’un des Etats ;
– La durée du séjour ne peut excéder 90 jours, au-delà les ressortissants de la CEMAC doivent se plier aux règles de droit commun applicables à tout citoyen d’origine étrangère (visas, carte de séjour, etc.) ;
– Les citoyens de la CEMAC qui voyageront dans un pays autre que le leur, bénéficieront des mêmes droits que les nationaux à l’exception des droits politiques.
Libre circulation, quels avantages ?
La libre circulation des personnes permettra à des peuples qui ont une histoire commune et un destin commun de se fréquenter sans contrainte. En effet, aujourd’hui un européen bénéficie de plus de facilités pour circuler dans les états membres de la CEMAC qu’un ressortissant de la communauté. Un paradoxe, quand on sait que les ressortissants de la CEMAC ont un socle culturel commun puisque tous issus du groupe Bantu. Au plan strictement historique, les peuples de la CEMAC divisés en groupes ethniques se sont toujours fréquentés et réalisaient des échanges commerciaux bien avant l’arrivée des premiers colons. Il est donc normal que la communauté favorise la liberté de mouvement au sein de l’espace régional.
Au plan économique, la libre circulation des personnes devrait permettre de booster les échanges commerciaux intra-régionaux. D’abord au sein des zones transfrontalières puis à mesure que se développeront les liaisons routières inter-capitales, entre les métropoles régionales.
Le fait que deux pays de l’espace CEMAC (le Tchad et la Centrafrique) ne disposent d’aucun accès à la mer constitue une opportunité pour les pays côtiers, en particulier pour le Cameroun, la Guinée Equatoriale et le Gabon. Jusque-là, la proximité géographique du Cameroun avec le Tchad et la Centrafrique l’a érigé en lieu de transit naturel pour ces pays de l’hinterland. Cependant, face à l’engorgement du port de Douala et compte-tenu de la mobilité à venir des populations (y compris des hommes d’affaires de la communauté), Libreville et Malabo peuvent constituer une alternative s’ils mettent à niveaux leurs infrastructures portuaires, leur logistique de transport ainsi que leurs voies de communication.
Enfin pour profiter pleinement des avantages offerts par la libre circulation, les états se doivent de développer des synergies, encourager leurs ressortissants à investir dans les autres pays de la communauté et développer des projets communs de façon à développer auprès des populations un réel sentiment d’appartenance à la CEMAC.
Le risque sécuritaire négligé
Malgré les avantages qu’elle représente, il faut cependant souligner que la décision de faire appliquer la libre circulation intervient dans un contexte sécuritaire particulier. En effet, l’un des pays de l’espace communautaire, la Centrafrique, sort à peine d’un conflit armé. Par ailleurs, le Nigeria qui a signé avec le Cameroun un accord bilatéral de libre circulation, fait face à des attaques terroristes régulières de la secte islamique Boko Haram. De nombreuses voix se sont élevées pour attirer l’attention des gouvernements de la CEMAC sur le risque sécuritaire induit par la libre circulation.
On peut s’étonner que l’annonce de la libre circulation des personnes n’ait pas été suivie de la présentation d’un plan de sécurisation des frontières extérieures de la CEMAC, ne serait-ce que pour endiguer les incursions terroristes dans l’espace communautaire. Par ailleurs, l’absence d’une stratégie régionale visant à limiter la circulation d’armes à feu laisse perplexe.
Il est donc urgent de doter la CEMAC d’un cadre permanent de coopération policière et militaire afin de réduire le risque sécuritaire bien présent aux portes de la communauté.
Mays Mouissi
* La communauté économique et monétaire d’Afrique centrale (CEMAC) réunit les 6 pays d’Afrique centrale ayant en partage le Franc CFA. Il s’agit du Cameroun, de la Centrafrique, du Congo, du Gabon, de la Guinée Equatoriale et du Tchad
tres bon article