Gabon : L’insoluble équation du chômage
A la faveur d’un rapport sur la croissance et l’emploi en République gabonaise, la Banque mondiale a dressé un tableau exhaustif de la situation économique du pays. Dans ce rapport, l’institution de Bretton Woods démontre notamment que la forte croissance du PIB enregistrée par ce pays pétrolier d’Afrique ces dernières années n’a eu qu’un impact limité sur réduction du chômage.
Du plein emploi au chômage endémique
Selon la Banque mondiale, l’analyse de la dynamique du marché de l’emploi au Gabon entre 1960 et 2010 permet de distinguer deux périodes :
– Une période de plein emploi entre 1960 et 1985.
– Une période d’augmentation constante du chômage et de l’emploi précaire entre 1986 et 2010.
Les 25 années de plein emploi furent marquées par de grands travaux dans le bâtiment et dans les infrastructures ferroviaires notamment. 70% des emplois pourvus (hors emplois publics) durant cette période émanaient du BTP, de la foresterie et des services lesquels contribuaient à hauteur de 24% dans la création de la richesse nationale. Déjà pendant cette période, le secteur pétrolier, pourtant principal pourvoyeur de devises au Gabon, ne représentait que 2% des emplois. En dépit du plein emploi marqué par un taux de chômage résiduel d’environ 3%, le déficit de la main d’œuvre qualifiée susceptible de pourvoir aux emplois ouverts était déjà ressenti. Par ailleurs, cette période fut marquée par une explosion des emplois publics lesquels progressèrent de 275% en passant de 14 800 en 1969 à 41 000 en 1985.
La période 1986 – 2010 a vu le chômage et l’emploi précaire augmenté sans cesse à mesure que les emplois dans le secteur dit formel s’amenuisaient. Ainsi entre 1986 et 1994 le secteur formel a perdu 30 000 emplois en raison notamment du retournement des marchés pétroliers internationaux. Le Gabon n’a pas profité de sa période de grande croissance pour créer une économie auto-entretenue, résiliente aux fluctuations des prix des matières premières et créatrice d’emplois pérennes à forte valeur ajoutée.
En dépit d’une dévaluation monétaire intervenue en 1994 dont l’impact sur l’emploi fut négligeable (la dévaluation fut suivie d’une hausse moyenne de 2% du nombre d’emplois) le taux de chômage général n’a cessé de progresser. Ainsi, le seul secteur du BTP a vu ses effectifs passer de 21 800 en 1980 à 4 000 en 2010 une baisse de plus de 200%.
Un taux de chômage inhabituellement élevé parmi les pays à revenu intermédiaire
En 2010 le taux de chômage au Gabon fut mesuré à 20.4%. Quand on y inclut les chômeurs qui ont renoncé à chercher un emploi, ce taux monte à 27.6%. Un niveau critique sans commune mesure avec les autres pays à revenu intermédiaire, groupe dans lequel le Gabon est classé.
Plus inquiétant encore, le taux de chômage atteint des proportions particulières chez les jeunes. Ainsi la Banque mondiale estime-t-elle à 26% le taux de chômage des jeunes de la tranche 25-34 ans. Pire encore, 35.7% des 15-24 ans sont frappés par le chômage. Ce niveau de chômage traduit l’incapacité du marché du travail au Gabon à absorber les milliers de jeunes, souvent diplômés, qui intègrent chaque année le marché du travail. Une situation susceptible d’engendrer des tensions sociales. Les révolutions arabes ne sont-elles pas nées du chômage massif des jeunes et de l’emploi précaire ?
L’emploi public utilisé comme variable d’ajustement
Face à la baisse tendancielle du nombre d’emplois formels dans le secteur privé, les gouvernements successifs ont utilisé l’emploi public comme variable d’ajustement du niveau de chômage dans le pays. Quand entre 1985 et 2010 les effectifs du secteur privé baissaient en passant de 74 053 à 41 517, ceux de l’administration publique progressaient fortement passant de 41 000 en 1985 à 78 400 en 2010.
A l’analyse, bien que le nombre de demandeurs d’emplois n’ait jamais cessé de croitre, le nombre d’emplois formels qui s’établissait à 115 570 unités en 1985 est resté stable sur 25 ans. En 2010, le Gabon ne dépassait toujours pas la barre des 120 000 emplois formels. Ce constat traduit l’échec des politiques publiques de l’emploi et révèle l’incapacité du Gabon à créer des emplois marchands susceptibles réduire le taux de chômage sans pour autant engorger l’administration publique.
Ne pouvant accéder aux emplois formels du privé et du public, de nombreux gabonais se sont engagés dans des activités du secteur informel* génératrices de revenus. Bien qu’on ait du mal à évaluer de façon précise la proportion des emplois du secteur informel au Gabon, la Banque mondiale estime qu’en 1985 on comptait déjà 98 000 emplois informels. Un niveau plus ou moins similaire que celui des effectifs d’emplois formels. Depuis le nombre d’emplois informels a considérablement progressé.
Mays Mouissi
* Il faut distinguer l’économie informelle de l’économie dite souterraine. Dans un cas il s’agit de l’économie non-régulée mais généralement acceptée par les états qui souvent manquent des structures nécessaires à l’encadrement des activités informelles. A contrario, l’économie souterraine tend à désigner des activités illégales, parfois criminelles et dans tous les cas qui se distinguent par une volonté de se soustraire aux lois et règlements en vigueur.
Source principale :
– Rapport sur la croissance et l’emploi en République gabonaise – Créer les conditions d’une croissance inclusive. Banque mondiale.
Propre et dosé.
Certainement l’un des meilleurs articles sur la situation de l’empoi au Gabon qu’il m’est été donné de lire. Bonne continuation cher ami.
Guy Ogoula
Un article tres fourni et tres complet. Donne une excellente perspective de l’emploi au Gabon. On ne peut qu’apprecie la qualite de ce travail. Merci encore M. Mouissi pour votre contribution a l’eveil du Gabon.
Merci pour les encouragements M. Origo.
Bien à vous.
MM