Gabon : Pourquoi le SMIG ne sera pas augmenté à 300 000 FCFA [Analyse]
Au Gabon le gouvernement a toutes les peines pour mettre fin à la crise sociale. Depuis plusieurs mois les négociations entre l’exécutif et les partenaires sociaux ont viré au dialogue des sourds. Une crise de confiance s’est installée et les syndicats lassés des engagements non-tenus du gouvernement se sont radicalisés. Principal point d’achoppement des négociations, l’augmentation du SMIG dont les syndicats réclament qu’il passe de 80 000 FCFA aujourd’hui à 300 000 FCFA. Un niveau impossible à soutenir pour l’État. L’analyse de la situation financière du Gabon permet de l’expliquer.
La nécessité d’indexer l’augmentation du SMIG à l’inflation
Pour être objective, l’analyse des revendications des syndicats de l’administration publique doit tenir compte d’éléments de contexte sans lesquels il n’est pas possible d’apprécier leur bien fondé. Le barème de calcul des salaires des agents publics se base sur 3 éléments principaux :
– L’indice et le point d’indice (valeur indiciaire) ;
– Le salaire minimum interprofessionnel garanti (SMIG) ;
– La catégorie de classement de l’agent public.
Par Décret n° 855/PR/MTE du 9 novembre 2006, le SMIG en République gabonaise a été fixé à 80 000 FCFA par mois et la semaine de travail hebdomadaire a été fixée 48h. En dépit des règles en usage dans les pays développés, le Gabon a choisi de ne pas indexer l’augmentation du salaire minimum sur l’inflation. Une telle corrélation entre le SMIG et l’indice des prix à la consommation aurait favorisé une légère augmentation des salaires chaque année (entre 1 et 3%) qui n’était pas de nature à perturber les équilibres macroéconomiques.
En choisissant un SMIG inamovible et fixé sur la seule base d’une décision politique, les autorités gabonaises ont fait le choix de l’inertie. Ainsi avant la réévaluation du SMIG de novembre 2006, celui-ci est resté bloqué à 44 000 FCFA pendant plus de 30 ans, au point où le pouvoir d’achat induit par le SMIG était devenu dérisoire par rapport à la cherté de la vie.
Aujourd’hui, il faut bien reconnaitre qu’avec un salaire minimum à 80 000 FCFA, il n’est plus possible de vivre décemment au Gabon dont Libreville la capitale est réputée pour être l’une des villes les plus chères d’Afrique. Par ailleurs l’effet de rattrapage né du gel du SMIG depuis 2006 doit nécessaire conduire à sa revalorisation.
Tensions de trésorerie et promesses démesurées, impossible de payer un SMIG à 300 000 FCFA
L’analyse de la revendication d’augmentation du SMIG transmise au gouvernement par les syndicats fait ressortir une demande libellée ainsi : « Augmentation du SMIG de 80 000 à 150 000 FCFA minimum et à 300 000 FCFA maximum ». Ce seul libellé démontre que la revendication ne porte pas sur 300 000 FCFA qui est maximum mais sur un SMIG augmenté à 150 000 FCFA. Tel que formulé, ce libellé constitue ce qu’il convient d’appeler un prétexte à discussion de nature à servir de base au démarrage de la négociation.
Dans tous les cas en l’état actuel de la situation des finances publiques au Gabon, le SMIG ne pourra pas être augmenté à 300 000 FCFA et le niveau de 150 000 FCFA sera difficile à atteindre. En effet et quoi qu’en dise le gouvernement, le Gabon rencontre d’énormes tensions de trésorerie. En raison de la baisse de moitié des prix du pétrole, le Gabon va perdre sur la seule année 2015 plus 400 milliards de recettes budgétaires non-compensées.
Par ailleurs, manquant de résultats sur le terrain économique, le gouvernement a tenté de s’acheter la paix sociale par des promesses sans s’assurer que le pays disposait de suffisamment de ressources pour les assumer. Ainsi en 2013, à la surprise générale et sans consultation, le Président Ali Bongo a décidé de généraliser à l’ensemble des fonctionnaires, une prime jusque-là réservée aux seuls régies financières. De même dans son discours à la nation du 31 décembre 2014, le Président de la république promettait une augmentation généralisée des salaires dans la fonction publique dès le mois de janvier. La première promesse n’a été que partiellement tenue tandis que la seconde n’a jamais été respectée.
Sur la seule année 2015 et sous le poids des promesses gouvernementales, les charges salariales ont augmenté de 52 milliards en passant de 680 s à 732 milliards FCFA. Dans le même temps, les recettes budgétaires baissaient de 400 milliards.
Sur la base des projections gouvernementales, la mise en œuvre des revendications syndicales relatives à l’augmentation du SMIG ferait passer les charges salariales de 750 milliards inscrits dans la Loi des finances 2015 à 2 500 milliards. Il apparait clairement que le Gabon n’aura ni suffisamment de rentrées budgétaires, ni suffisamment de réserves pour assurer des charges de fonctionnement de cette ampleur. Face aux syndicats mécontents et à une administration paralysée, le gouvernement ne pourra s’en prendre qu’à lui-même.
Mays Mouissi
Référence réglementaire :
merci pour cette analyse propre.
Bonjour monsieur MOUISSI,
Je suis un professionnel des ressources humaines dans une entreprise au Gabon et je suis très admiratif de vos analyses aussi bien sur africa 24 que votre site que je viens de découvrir.
Aussi, à la lecture de cette dernière analyse il me vient une préoccupation que j’aimerai vérifier.
En référence au Décret n° 855/PR/MTE du 9 novembre 2006 (que je découvre) il est préciser que la base de calcul du SMIG est de 48 heures hebdomadaire. Est ce à dire que la durée hebdomadaire de travail au Gabon est 48h ou est ce juste une base de calcul?
Ceci est important car pour beaucoup de mes confrères le temps de travail hebdomadaire au Gabon est de 40h, conformément au code du travail.
Dans l’attente.
Bonjour M. BISSIE MEYO,
L’article 3 du Décret n° 855/PR/MTE du 9 novembre 2006 fixe en effet 2 durées légales du travail en République gabonaise :
– 40 heures par semaine pour le régime général ;
– 48 heures par semaine pour le régime agricole et assimilés.
Il me semble que dans votre cas vous dépendiez du régime général (40 heures / semaine).
Cordialement.
MM
Bonjour et merci pour cet éclaircissement.
Excellente analyse, qui met indéniablement au goût du jour la nécessaire réforme de l’Etat au Gabon. Il est manifeste que nous ne pouvons pas continuer à ignorer les revendications légitimes des travailleurs. Mais il est tout aussi évident que le système de gestion actuel de l’agent public ne permet pas d’y répondre. Que faire, dans ces conditions, pour éviter la catastrophe qui résulterait tôt ou tard du maintien de ce système? Plus que le seul système de rémunération de l’agent public, c’est toute la structure de l’Etat qu’il faut repenser. Il nous faut un Etat décentralisé, une administration « allégée », c’est-à-dire pas du tout pléthorique, une diversification de l’économie; il nous faut dynamiser le secteur privé en facilitant l’accès au crédit et l’entrepreneuriat; il nous faut réduire le train de vie de l’Etat…
Or, dans la situation actuelle, c’est plutôt à un engraissement du mammouth qu’on assiste depuis 1990, avec la création de nouvelles institutions perçues aujourd’hui comme des maisons de retraites pour anciens hauts fonctionnaires. Dans quelques années, il ne faudra pas s’étonner si le Sénat, déjà pléthorique, et l’Assemblée nationale augmentaient le nombre respectif de leurs élus (cela a été d’ailleurs récemment le cas pour le Sénat).
Les salaires sont bas, et les retraites misérables. Ce sont les choix politiques pris il y a très longtemps qui nous amènent à cette situation. En 1990, la conférence nationale aurait dû nous aider à sortir de cette logique; mais il n’en fut rien. Nous sommes toujours régis par un ensemble de dispositions datant du parti unique: Extraordinaire!!! Aujourd’hui, il est urgent d’agir dans le sens du bien commun. Et c’est tous ensemble, chacun avec son expertise, que nous devons trouver les solutions les meilleures pour notre pays.
Très brillante analyse monsieur mays mouissi. Mais aujourd’hui, fasse à la sitiation sociale au gabon et au vu du train de vie de l’état, quelle solution politique pour sortir de la crise sociale?