Gabon : Enrichissement illicite, l’étonnant silence de la CNLCEI
Classé 94e sur 175 pays à l’indice de perception de corruption 2014 de l’ONG Transparency international, le Gabon est l’un des pays où le niveau de corruption est parmi les plus élevés. Au plan local, la charge de la lutte contre l’enrichissement illicite et la corruption incombe à la Commission nationale de lutte contre l’enrichissement illicite (CNLCEI) et aux cours et tribunaux. Quel bilan peut-on tirer de l’activité de la CNLCEI ?
Cadre légal de la répression de l’enrichissement illicite
Créée par la loi n°003/2003 du 07 mai 2003, la Commission nationale de lutte contre l’enrichissement illicite (CNLCEI) a pour mission de prévenir et d’investiguer sur les questions relatives à la corruption et l’enrichissement illicite en République gabonaise. Pour faciliter l’exercice de ces missions, le législateur a prévu 3 modes de saisine de la commission :
– Par le commissaire du gouvernement ;
– Par tout citoyen de façon anonyme ;
– L’auto-saisine de la commission constatant des faits relevant de ses attributions.
Sur le fondement des dispositions pertinentes de la loi n°002/2003 du 7 mai 2003, instituant le régime de prévention et de répression de l’enrichissement illicite en République gabonaise, est considéré comme enrichissement illicite le fait, pour tout dépositaire de l’autorité de l’Etat, de réaliser ou de tenter de réaliser des profits personnels ou d’obtenir tout autre avantage de toute nature.
De façon précise l’article 2 de la loi n°002/2003 énumère les actes d’enrichissement illicites devant conduire à l’auto-saisine de la Commission nationale de lutte contre l’enrichissement illicite (CNLCEI). Il s’agit entre autre :
– Des actes de détournement ou de soustraction frauduleuse de deniers ou de biens publics, d’abus de pouvoir, de trafic d’influence, de prise illégale d’intérêt ou de tout autre procédé illicite ;
– Des pratiques illicites en matière d’expropriation, d’obtention de marché, de concession ;
– L’enrichissement par l’utilisation indue, à son profit ou à celui d’un tiers, de tout type d’information confidentielle ou privilégiée dont il a eu connaissance en raison ou à l’occasion de ses fonctions ;
– L’augmentation significative du patrimoine de tout dépositaire de l’autorité de l’Etat que celui-ci ne peut raisonnablement justifier par rapport aux revenus qu’il a légitimement perçus.
L’incompréhensible silence
12 ans après la création de la CNLCEI de nombreux observateurs s’interrogent sur son activité réelle et le bilan qu’on peut en tirer. Par ailleurs, au regard des dispositions de la loi instituant le régime de prévention et de répression de l’enrichissement illicite, on peut s’étonner du silence de la CNLCEI face aux nombreuses affaires appelant l’ouverture d’investigations de sa part révélées par la presse.
En effet plusieurs affaires, à l’instar des détails de la succession Omar Bongo, l’actionnariat tentaculaire de la holding Delta Synergie ou des dépenses personnelles de Pascaline Bongo facturées à la Présidence de la République, font peser d’importants soupçons d’enrichissement illicite au profit du Chef de l’Etat gabonais et de ses proches. Dans ces affaires se mêlent des soupçons de prises illégales d’intérêt, d’enrichissement par l’utilisation d’informations privilégiées obtenues dans l’exercice d’une fonction publique, d’augmentation significative du patrimoine de dépositaires de l’autorité de l’Etat. En dépit de l’émotion exprimée par l’opinion et des leaders de la société civile suite à ces révélations, la CNLCEI est demeurée indifférentes renforçant ainsi le sentiment d’impunité des acteurs politiques.
Ce sentiment est renforcé par les observations du Programme des nations-unis pour le développement (PNUD) de décembre 2011 qui déplorait notamment « une insuffisance manifeste de formation » des équipes de la CNLCEI pour réaliser leurs missions. Dans le même rapport, le PNUD s’étonnait que moins de 50% des personnes dépositaires de l’autorité de l’Etat astreintes à la déclaration de biens s’y soumettait sans que cela n’entraine une quelconque conséquence pour les contrevenants.
Mays Mouissi